Le 13 décembre sort le numéro 7 de l’excellente revue Tank, initiée et animée par Olivier Breton et Pascal Beria.
En avant-première, je vous propose de découvrir la version longue d’un entretien (publié p.18 et p.19) que j’ai réalisé avec Thibaut Munier, le Directeur Général de 1000mercis.
Où il est question de Big-Data et de Sérendipité …
Big data et data mining sont aujourd’hui au cœur du champ publicitaire et des pratiques marketing. Que se cache t-il derrière la désormais toute-puissance des données ? Quelles sont les problématiques liées à leur collecte, à leur analyse et à leur exploitation ? Face à la prédictibilité grandissante des comportements et des préférences, que reste-t-il de la sérendipité, de notre goût pour les rencontres fortuites et inattendues ?
1) Dans le champ publicitaire et marketing, les notions de «Data mining » et de « Big data » sont aujourd’hui omniprésentes. Que désignent ces termes ?
Ces termes désignent d’abord un nouveau type de données. Ainsi les données issues de l’utilisation des réseaux sociaux constituent des données non structurées. Ces données sociales correspondent aux interactions des internautes entre eux et avec les marques. Elles peuvent par exemple prendre la forme de commentaires ou de posts et elles constituent alors un verbatim des conversations.
Autre exemple, les données de navigation. On peut désormais, avec le recueil du consentement des internautes, enregistrer une partie de leur parcours de navigation sur les sites. Ces données pourront ensuite être exploitées par les annonceurs.
Ces données, de type comportemental, sont de plus en plus massives. Le terme même de Big data désigne l’importance du corpus des informations recueillies. A la différence des données déclaratives, ces données de navigation sont extrêmement variées (le temps de navigation sur un site, les pages visitées, les liens cliqués…) et volumiques. Il faudra d’ailleurs savoir les traiter en suite.
Cette production d’informations constitue un événement en soi car notre société, avec ses moyens technologiques, n’a jamais autant produit de données.
2) Concrètement comment s’effectue la collecte des données ?
Il y a de nombreuses formes différentes de collecte. Par exemple, la navigation sur un site, sous réserve de l’accord de l’internaute, donne une occasion d’échange et de suivi d’informations via notamment la mise en place de cookies. L’enregistrement de ces données doit permettre d’optimiser la navigation future de l’internaute en améliorant les liens qui lui sont proposés.
Cela dit, chaque environnement pose des problèmes techniques et juridiques de collecte. La perception des techniques de collecte par l’internaute et les conditions de recueil du consentement de collecte des données constituent des sujets particulièrement sensibles.
3) Quels sont les enjeux pour les marques ?
Les marques envoient beaucoup de messages en direction de leurs clients présents ou potentiels. Or il y a une déperdition importante non seulement quantitative mais aussi qualitative. Les internautes ont souvent un sentiment d’envahissement, d’une fréquence excessive des sollicitations ou encore de l’inadéquation de ces messages avec leurs attentes.
Il s’agit donc pour les marques d’être plus intelligentes, de savoir tirer partie de ces grands volumes d’informations et de leur richesse en terme de contenu. Beaucoup de données ne sont pas utilisées ou sont collectées de façon inutile ; l’enjeu principal est donc de savoir les traiter, les utiliser afin de mieux comprendre les comportements et les attentes des clients, de mieux communiquer avec eux. L’objectif est d’apporter au consommateur ce qu’il attend, à savoir un meilleur service et le moins de désagrément possible.
Au-delà d’ailleurs des bénéfices immédiats liés à une meilleure connaissance, l’enjeu est aussi de créer une différenciation, de se distinguer de ses concurrents par la qualité de la relation que l’on aura su nouer avec ses publics.
4) Y a-t-il un bénéfice évident pour l’usager ? Quels exemples peut on donner d’un bénéfice utilisateur ?
Malheureusement ce sont plutôt les exemples de désagrément qui s’imposent. Trop souvent, les usagers sont envahis de sollicitations qui ne sont pas au cœur de leurs préoccupations. C’est compliqué pour les marques de collecter toutes les informations qu’elles ont le droit d’utiliser, qui leur seront utiles et qui, in fine, leur permettront de tirer un surcroit de valeur perçu par le consommateur.
De là les interrogations à propos de ce qu’il est légitime de demander, de collecter, à propos de ce qui fait sens ou pas. Il faut aider les marques à être plus intelligentes et leur permettre ainsi de se distinguer. Le directeur d’un grand distributeur américain disait : « Je sais que je gaspille la moitié de mon budget marketing, le problème c’est que je ne sais pas quelle moitié ».
C’est encore très vrai aujourd’hui. Il y a un gaspillage formidable, souvent contre-productif et générateur de désagréments.
5) Les modalités d’extraction des données sur les réseaux sociaux (en particulier Facebook) sont aujourd’hui contestées qu’en pensez-vous ? La peur d’un système de surveillance numérique généralisé est-elle légitime selon vous ?
Il y a un équilibre qui se cherche entre les consommateurs, les marques et les plateformes sur lesquelles ils se rencontrent . Les marques ont évidemment besoin de visibilité et de publicité. Les consommateurs sont des internautes qui sont souvent en attente de services gratuits tout en se montrant rétifs à la captation de leurs données privées.
Entre les deux, il y a des plateformes, dont Facebook fait partie, qui doivent offrir des opportunités commerciales aux marques tout en garantissant les droits des internautes. Il y a une recherche permanente de compromis et d’équilibre ; ce dont témoigne la liberté laissée sur Facebook aux internautes de pouvoir régler le degré de confidentialité de leurs données.
Entre tous ces acteurs, il y a des allers-retours qui se font parfois dans la confrontation notamment parce que les conditions générales d’utilisation ne sont pas facilement accessibles et compréhensibles pour les consommateurs. Ce qui génère d’ailleurs des prises de position parfois radicales.
Cela dit, je trouve qu’en général les consommateurs changent plus vite que les marques. Il y a par exemple des choses qu’ils n’acceptaient absolument pas et qu’ils trouvent légitime aujourd’hui. Cependant, il importe de ne pas les bousculer. Transparence et pédagogie sont ici indispensables.
L’équilibre n’est pas simple à trouver et il est souvent nécessaire de tâtonner, d’expérimenter. Nous avons la chance de pouvoir travailler en direct avec les marques et de les conseiller sur l’utilisation qu’elles peuvent faire des données qu’elles ont collectées. Nous mettons ainsi en place des capteurs et des indicateurs de retour de perceptions pour mieux comprendre et mieux satisfaire en temps réel les consommateurs.
6) Quelle est l’efficacité des modèles mathématiques, des algorithmes, qui sont à l’œuvre dans les processus de collecte, d’analyse et d’exploitation des données ?
L’efficacité est très claire par rapport à une période récente où tout le monde diffusait le même type de message. Aujourd’hui, on arrive à personnaliser les messages publicitaires, à créer une relation spécifique entre le consommateur et la marque. On parle davantage de ce qui intéresse ou en tout cas un peu moins de ce qui n’intéresse pas. C’est un progrès important. A chaque fois que les données sont bien exploitées et analysées, il y a une augmentation spectaculaire des taux de clics.
Il n’y a jamais eu autant de messages pertinents mais nous ne sommes pourtant qu’au début de cet apprentissage. Les marques progressent mais les internautes aussi et deviennent de plus en plus exigeants par rapport à la pertinence de ce qui leur est communiqué. Nous travaillons à la réconciliation entre les attentes des internautes et les besoins des marques. Les efforts sont importants mais ils sont encore en deçà de l’objectif à atteindre.
Ce qui importe, ce n’est pas la puissance d’un modèle mathématique. Nous devons apporter, dans la communication d’une marque, la créativité, l’inattendu, quelque chose d’un peu plus subjectif et d’un peu moins froid et systématique que les résultats d’un modèle mathématique.
7) En entourant l’individu numérique et mobile d’un réseau de liens directement déterminés par l’observation de ses goûts et de ses habitudes, le data mining ne supprime-t-il pas le hasard et la possibilité des découvertes ?
Si c’est le cas, alors c’est un mauvais data mining. Un bon data mining réalise un compromis entre la prédictibilité immédiate des goûts et des préférences d’une personne et l’exploration nécessaire de ses intérêts potentiels. Ce compromis est difficile à trouver. Il se résume souvent à un compromis entre le court et le moyen terme car à court terme, l’intérêt est toujours de recommander ce qui est immédiatement le plus prévisible et le plus proche des préférences déjà constatées.
Or en ouvrant l’horizon temporel, on valorise autre chose que le retour immédiat. Il faut enrichir la relation entre la marque et le consommateur en ménageant la possibilité des découvertes. De même, un bon libraire est quelqu’un qui sait vous comprendre mais aussi vous surprendre. Il vous emmènera vers quelque chose de nouveau à travers des médiations, de liens en liens.
Les algorithmes de recommandation peuvent intégrer trois dimensions :
– Les meilleures ventes : à défaut de personnalisation, il s’agit du plus grand dénominateur commun.
– La proximité immédiate déterminée à partir des goûts personnels et des habitudes constatés .
– La surprise, l’inattendu : le plus séduisant mais aussi le plus couteux à court terme car il n’y a pas l’assurance de plaire immédiatement. Cette dimension construira par contre la différence et la connivence, elle enrichira la relation à moyen et long terme.
On confond fréquemment l’automate et la répétition : le robot peut être intelligent et surprendre.
10) Comment les professionnels du big data et du data mining réintroduisent-ils le hasard dans l’exploitation des données ?
En termes mathématiques, on choisit d’abord de parler à chacun du produit qui est le plus proche de ce qu’il a acheté, regardé, cliqué.Comme l’on sait modaliser les distances entre une personne et des préférences, on va ensuite tester des recommandations plus lointaines.Il est enfin possible d’introduire de l’aléatoire, de travailler au renouvellement des recommandations. C’est essentiel afin de sortir du même et de la répétition, afin d’offrir au consommateur de la variété.
Mathématiciens et professionnels de la psychologie travaillent de concert sur ces sujets. Ce mélange est indispensable si on ne veut pas refaire en marketing ce qui est arrivé dans la finance, qui n’a pas su assez intégrer la psychologie des différents acteurs.Le risque serait vraiment de croire à une trop grande prévisibilité et d’oublier tous les aspects tellement riches de l’interaction, de l’inattendu et de la surprise.
Jean-François PASCAL pour TANK
THIBAUT MUNIER & 1000MERCIS
Thibaut Munier est Directeur Général du groupe 1000mercis, entreprise qu’il a co-fondée en 2000. Il était auparavant responsable R&D marketing relationnel chez Air France en charge du data mining clients. Spécialiste du marketing quantitatif, il est également l’auteur de plusieurs publications scientifiques. 1000mercis est une entreprise spécialisée dans la relation entre les marques et leurs clients au sein de l’univers digital. 1000 mercis aide les marques à collecter des données, à les analyser et à les exploiter efficacement sur les canaux digitaux.
TANK – Qui sommes-nous ?
Entre journalisme, littérature et design, TANK se propose, tous les trimestres, de mettre en perspective des sujets de société avec les enjeux des médias et de la communication, en donnant la parole aux acteurs du monde universitaire, journalistique, politique, économique ou communicant.
En 150 pages, la revue défriche les influences qu’entretiennent les métiers de communicants sur le reste de la société et tend à prouver que, bien au-delà de sa seule fonction économique, la communication demeure une discipline structurante dans une époque en quête de sens et de lien social.
TANK est un projet éditorial initié par Olivier Breton (Directeur de la publication, Président – All Contents)