Le numéro 7 de la revue Tank est en kiosque !
Ce numéro a pour thème le Luxe:
Symbole de vanité et preuve de bon goût, marqueur social ambitionné et signe parfois excessif de richesse, aussi futile qu’indispensable, attirant que sélectif, le luxe porte en lui une dualité qui avait déjà vu s’affronter Voltaire et Rousseau en leur temps lumineux. Sans se risquer à l’arbitrage, TANK nous invite donc à mieux comprendre les leviers complexes qui font du luxe un secteur si à part, partagé entre exubérance, onirisme et savoir-faire. Au-delà du seul positionnement marketing, le luxe est aussi un secteur économique florissant qui parvient, avec brio, à faire coexister rareté, culture et logique industrielle. Après une étude des nouveaux usages, TANK nous accompagne enfin dans les ateliers des créateurs de ces produits d’exception et nous rappelle que, s’il est le terrain d’une lutte économique souvent âpre, le luxe n’en est pas moins un gardien de la tradition et du respect des valeurs d’excellence, d’exigence et de recherche de la perfection. Un univers de beauté qui n’est pas toujours fait de calme et de volupté. La rubrique Médias prolongele sujet en mettant en avant la créativité des campagnes publicitaires de luxe et en décryptant le phénomène Karl Lagerfeld, icone de la mode récemment transformée en marque à forte prédominance digitale. La parole est aussi donnée aux acteurs innovants des médias pour mieux nous aider à appréhender ses nombreuses mutations.TANK mène enfin l’enquête sur l’émergence du Co et de ses nombreux avatars et explore les moteurs de cette collaboration mais aussi ses succès, le mode de gouvernance qui se met en place et les limites d’un exercice parfois trop idéal pour s’avérer réellement honnête.
Vous lirez p70-71 un article que je consacre au croisement du luxe et de la Chine.
Voici la version longue de ce texte:
Luxe : la tentation chinoise
L’industrie du luxe continue à afficher une croissance à deux chiffres. Les moteurs de cette expansion sont à chercher essentiellement du côté des pays émergents. Au premier rang desquels se tient la Chine. Que représente aujourd’hui le marché chinois pour l’industrie du luxe ? Quelles sont les caractéristiques de ce marché ? Comment les marques parviennent-elles à s’implanter ? Quelle est la part prise par le tourisme et par les nouveaux modes de consommation ? Le luxe au miroir de la tentation chinoise…
La tentation chinoise est d’abord celle d’un immense marché en croissance constante. Aujourd’hui, la Chine, représente à elle seule le quart des achats mondiaux de luxe. Devant les américains, les chinois sont désormais les premiers consommateurs mondiaux de produits de luxe.
Cette consommation repose notamment sur l’existence de 960 000 millionnaires en Chine (dont la moyenne d’âge est de seulement 40 ans. Au-delà, l’émergence d’une importante classe moyenne supérieure est appelée à soutenir durablement la forte croissance du secteur du luxe. Ainsi 13 millions de ménages chinois ont aujourd’hui un revenu annuel compris entre 100 000 et 200 000 RMB (soit 12570€ et 25140€) et leur nombre devrait atteindre 76 millions dès 2015. Dans les 10 prochaines années, ce seront 260 millions de nouveaux consommateurs aisés qui deviendront notamment des acheteurs de produits de luxe.
La clientèle chinoise est la plus jeune au monde, elle est masculine à 55%. Les produits de luxe constituent des marqueurs sociaux et des signes de distinction. L’acquisition de montres de luxe représente d’ailleurs un quart des achats. A ce titre, les marques internationales capitalisent sur leur notoriété.
Néanmoins une tendance plus récente voit l’émergence de marques chinoises qui ont aussi les faveurs de la jeune clientèle « branchée » : la grande enseigne « Shanghai Tang », la créatrice de mode Uma Wang, les mobiles haut de gamme Xiaomi ou encore la marque de beauté Yue Sai sont désormais des acteurs majeurs du marché.
Les grandes marques internationales doivent de toute façon s’adapter aux besoins et aux désirs variés de ces nouveaux consommateurs. Non seulement les produits développés pour les marchés matures ne sont pas nécessairement adaptés mais en plus la catégorie de « pays émergents » ne désigne pas non plus un ensemble homogène : les spécificités historiques et culturelles sont fortes et elles contraignent les marques à un double travail d’adaptation et d’innovation.
Cela est particulièrement sensible pour l’industrie de la beauté. Ainsi en Chine les soins de la peau – au détriment des parfums et du maquillage – concentrent l’essentiel de la consommation beauté des femmes et, dans une moindre mesure, des hommes citadins. La pureté de la peau, la luminosité et l’homogénéité du teint, sont historiquement et culturellement des signes de santé, de beauté et de raffinement. Le soin lui-même est associé à une pratique d’harmonie et les rituels de beauté s’apparentent à des cérémoniaux codifiés. Modernité et tradition se mêlent puisque les ingrédients naturels et les mélanges « maison » – à l’image de la millénaire poudre de perle d’eau ou encore de l’eau de riz pour les cheveux – sont appliqués en lien avec des produits de soin modernes issus du travail de recherche et d’innovation des marques.
Pour son soin « Énergie de Vie », Lancôme est ainsi aller puiser dans les ingrédients utilisés par la médecine traditionnelle chinoise : extraits de racines de rhodiola, de gentiane et d’igname sauvage entrent dans la formule de la lotion et de la crème.
Pour autant, si l’adaptation aux spécificités est indispensable, elle ne peut pas non plus occulter l’existence d’une logique de convergence. En ce sens, Hong Kong, au croisement de l’identité chinoise et de l’exposition occidentale, constitue une vitrine avancée de la progressive harmonisation des marchés chinois et mondial.
La tentation chinoise qui lie aujourd’hui les destins de l’industrie du luxe et de la Chine ne doit pas non plus s’entendre dans une stricte logique territoriale. Le marché chinois est un marché qui ne peut être appréhendé en ignorant l’importance prise par le tourisme, qu’il soit lié aux loisirs ou aux déplacements professionnels.
La France est en première ligne pour bénéficier de cette manne. 1,8 million de touristes chinois sont ainsi attendus en France en 2013/2014. Les consommateurs chinois associent très fortement les produits de luxe à certains pays au premier rang desquels figurent l’Europe (où les chinois achètent 20% de leurs cosmétiques) et plus particulièrement la France. La France occupe d’ailleurs la première place pour les cosmétiques et parfums (cités par 76% des personnes interrogées selon une étude publiée par KPMG en 2011), pour la mode (37%) et les sacs (33%).
Parce qu’ils consacrent plus de 80% de leur budget en shopping, les touristes chinois sont particulièrement courtisés et de véritables parcours d’achat sont organisés à leur attention, notamment à Paris. Autour de la place Vendôme mais aussi du boulevard Haussman, les enseignes se pressent. Au-delà d’un accueil nécessairement bilingue, elles ont souvent noué des partenariats avec des agences de voyage et des intermédiaires permettant aux groupes de se rendre dans des espaces de vente dédiés mettant en avant tous les codes de l’univers du luxe. Certains voyageurs individuels, déjà familiers des marques et ayant un fort pouvoir d’achat, disposent quant à eux de chauffeurs et de personal shoper bien connus des marques de prestige. Une application mobile, spécifiquement consacrée à la cartographie du luxe a été développée et permet de géolocaliser les adresses en fonction des catégorie de produits ou des marques recherchées.
Les aéroports sont aussi devenus d’importants lieux de diffusion et de vente pour les acteurs du luxe. Le dernier Satellite du Terminal E2 de Roissy Charles de Gaulle, avec ses 6000 m2 de galeries, n’a ainsi plus rien à envier aux avenues les plus chics de Paris. L’industrie mondiale du commerce de voyage ou « travel retail », pour l’essentiel tournée vers le luxe, connaît un fort développement : ses ventes ont représenté près de 50 milliards de dollars en 2012 et les perspectives sont prometteuses en raison de l’augmentation constante du trafic passager (de 4,8 milliards de passagers en 2011 à 11,4 milliards de passagers attendus à l’horizon 2030).
Les marques ont adapté leur offre à ce mode de distribution spécifique en privilégiant des contenants plus petits, des conditionnements adaptés et une logique d’achat cadeau. L’expérience d’achat demeure très importante comme en témoigne le lancement conjoint par Korean Airlines et la division asiatique «Travel Retail» de L’Oréal Luxe des premiers «SkyShop» à bords des A380 qui recréent l’atmosphère d’une boutique de luxe en tenant compte des contraintes techniques d’une cabine d’Airbus.
Archétypes des consommateurs nomades ou « global shopper », les Chinois dépensent de plus en plus (+63% en 2011) dans ces nouveaux temples du luxe que deviennent les aéroports. Au premier rang de leurs achats, qui sont souvent des cadeaux, figurent les produits de beauté : leur panier d’achat moyen (161 dollars en 2012) ne cesse pas d’augmenter.
De la même manière que les logiques de frontière sont bousculées par les nouveaux mode de consommation mobile, le digital, en particulier via un taux d’équipement grandissant en smartphones, connaît un essor important et joue d’ores et déjà un rôle important sur le marché chinois du luxe. Ainsi 70% des consommateurs chinois recherchent de l’information sur les marques de luxe sur Internet au moins une fois par mois. Les achats en ligne sont encore peu significatifs mais les sites, blogs et forums constituent des sources d’information privilégiées et des lieux d’expression recherchés. Les marques entrent d’ailleurs de plus en plus en conversation avec les internautes et consommateurs chinois.
Pour l’industrie du luxe, la tentation chinoise va donc au-delà d’un simple relais de croissance. Elle implique, en plus d’une logique d’adaptation, un effort permanent de recherche et d’innovation tant en matière de savoir faire que de marketing et de communication. La tentation chinoise épouse en fait les grandes mutations actuelles. Elle dessine le visage futur de l’univers du luxe, d’un nouvel équilibre entre les particularités culturelles, l’hybridation du goût, la mondialisation des échanges, la mobilité et la digitalisation croissante des pratiques de consommation.
Jean-François PASCAL pour TANK
Luxury – The Chinese temptation
The luxury industry continues to show double-digit growth. The driving forces of this growth comes mainly from emerging countries. In the front row stands China. What does the chinese market represent for the luxury industry ? How do brands manage to establish themselves ? What’s the part played by tourism and new ways of consumption ? Luxury onto the miror of Chinese temptation.
The Chinese temptation is, first, a great market of steady growth. The China of today represents, alone, a quater of the world’s luxury purchases (Study Brain & Company, December 2012). Ahead of the americans, the chinese are now the world’s top consumers of luxury goods.
This consumption rests on espacially on the existence of 960,000 millionaires in China, whose average age is just 40. Further on, the emergence of a large upper middle class is bound to support durably a sustainable growth in the sector. In the next years, it will be 260 million new well-off consumers who will enter the market (BCG’s Center for Consumer Insight).
Chinese customers are the youngest in the world, 55% are men (CLSA) and half of it are between 25 and 28 years old (World Luxury Association). Luxury goods form, first, to them social markers and signs of distinction. For this reason, international brands capitalize on their fame.
However, a more recent trend sees the emergence of chinese brands (Xiaomi’s up-market phones or the beauty brand Yue Sai) which also have the favors of the younger trendy crowd.
International brands have to fit, anyway, on the various needs and desires of these new consumers. Historical and cultural specificities are strong and force the brands to a double work of adaptation and innovation.
This is specifically noticeable for the beauty industry. In China, skincare concentrate the bulk of beauty consumption for women, and to a lesser extend, for city dwelling men. The skin’s purity is historically and culturally a sign of health, beauty and refinement. Modernity and tradition mix as natural ingredients – as the millennium water pearl powder – are applied in connection/linked with modern care products. For Lancôme’s care product « Life Energy », the brand has fetched ingredients used in traditional chinese medicine.
However, if the adaptation to the specificities is essential, it can’t deny the existence of a logic of confluence. This is why, Hong Kong, at the crossroads of the chinese identity and occidental’s exposition, is an advanced shop window of the progressive harmonization of the chinese and global markets.
The Chinese temptation can’t be understand as a strict territorial logic. The chinese market has to be comprehended at the prism of the growing importance of tourism.
France is in the front line to benefit from this godsend. 1.8 million of chinese tourists are expected in France in 2013/2014. The Chinese consumers strongly associate luxury goods with specific countries, at the front row stands Europe (where Chinese buy 20% of their cosmetics KPMG Study, march 2013) and especially France. France holds the first place for cosmetics and perfumes (quoted by 76% of repondents according to a study published by KPMG in 2011), and for fashion (37%) and bags (33%).
Because they spend almost 80% of their budget on shopping, chinese tourists are particularly courted and real paths of purchasing are made for them, especially in Paris.
Retailers created partnerships with travel agencies allowing groups to go to dedicated retail spaces. A phone app even allows to find addresses according to products categories or the searched brands.
Airports also became significant shop windows and points of sale for the luxury’s actors. The last satellite of E2 Terminal in Roissy Charles de Gaulle, with 6000 m2 of shopping malls, doesn’t have anything to envy to the most classy avenues in Paris. The worldwild travel trade’s industry or « travel retail », essentially focusing on luxury, knows a strong development : it made 50 billion sales in 2012 (Generation Projection 2012) and the future prospects are encouraging because of the constant increasing passenger traffic.
Brands fitted their offers to that specific mode of distribution favouring smaller containers, more appropriate packaging and a logical gift purchase. The shopping experience is still very important as proved by the launch of the firsts l’Oreal Luxury’s « sky shop » which create the same atmosphere of a luxury goods shop but in an airbus A380. The nomad consumers archetypes or « global shopper », chinese spend more and more in these new temples of luxury : +63% in 2011 with a shopping basket of 161 dollars in 2012 (CIR TFWA chinese passengers shopper beauty 2012). As borders logic are turned upside down by these new moving shopping ways, digital, particularly through the growing numbers of smartphones, is experiencing an important rise. This way chinese consumers make an internet research on brands at least once a month. Online shopping does not take a big part yet but websites, blogs and newsgroups, which brands are more and more paying attention to, make favoured information sources and privileged places of expression.
To the luxury industry, the chinese tempation goes beyond a simple growth opportunity. It draws the future face of luxury world, of a new balance between cultural specificities, taste’s hybridization, worldwide trades, mobility and the growing digitalization of cunsumption ways.