Cosigné avec Thierry Wellhoff, Président de l’agence Wellcom et de Syntec Conseil en Relations Publics, mon article publié dans le 6ème numéro de l’excellente revue « Parole Publique »:
Les multiples visages de la défiance
Les acteurs politiques, les journalistes et les communicants partagent aujourd’hui un privilège peu envié, celui de la défiance.
Leurs prises de parole, dans l’espace et le débat public, font l’objet d’une suspicion de principe. Que leur reproche-t-on ? De ne pas avoir « d’objectivité » et d’être de parti pris. De faire de la communication un outil de manipulation. De défendre, dans un mélange de cynisme et d’incompétence, de manière plus ou moins dissimulée, des intérêts partisans ou personnels.
Ces critiques ne sont pas seulement portées par l’opinion publique, elles sont aussi relayées par les acteurs politiques, les journalistes et les communicants eux-mêmes. Chaque « corporation » les utilise, à l’occasion, à l’encontre des autres groupes professionnels qui constituent pourtant ses partenaires fréquents.
Ainsi les élus ne manquent pas de s’emporter contre les médias accusés de déformer systématiquement le sens de leurs actions et le contenu de leurs paroles. De nombreux acteurs politiques disqualifient aussi le travail des communicants en le réduisant à des dispositifs de manipulation de l’opinion publique, déconnectés du sens et de la réalité des politiques menées. Ce qui n’empêche pas certains, de faire appel à des « spin doctors » afin de récolter justement les bénéfices, réels ou supposés, de ces techniques manipulatoires…
A leur tour, les médias sont prompts à transformer la vigilance critique en suspicion permanente. Les motivations et les buts des acteurs politiques peuvent ainsi être systématiquement réduits à des enjeux de pouvoir et d’intérêts personnels. De même, à l’encontre des communicants, un procès est souvent instruit en subjectivité (valoriser le point de vue et les intérêts de son seul client) et en manipulation (pression et complaisance).
Ces critiques, qu’elles émanent d’une corporation ou de l’opinion publique, ne peuvent être balayées. Elles pointent des comportements réels. Mais il importe de les nuancer, parfois de les déconstruire, et de distinguer notamment les pratiques usuelles réglées par des déontologies et les dérives.
Illusions, a priori et croyances
A ce titre, il est d’abord intéressant de remarquer que nul ne saurait s’exonérer de ce qu’il reproche à l’autre. Y compris cet être de raison qu’est l’opinion publique. Car cet agrégat d’individus, de citoyens, de consommateurs, cette foule qui joue parfois les procureurs en matière de vertu, est elle-même un acteur impur des processus de communication.
Chacun devenant à son tour média, via la révolution numérique et les réseaux sociaux, est en situation d’intervenir dans le débat public. Or les modalités de cette participation, la réalité des conversations, fait là aussi droit à la subjectivité et aux logiques d’intérêts.
Songeons, sur ce point, à la fabrication et à l’amplification des rumeurs sur le web. De nombreux individus devenus médias propagent le faux à l’exacte proportion de sa vraisemblance. Les théories du complot font du plausible et du semblant un redoutable moteur d’illusions et d’erreurs qui nuit à la construction du débat public et démocratique.
Mais la défiance qui s’applique tour à tour à chaque intervenant dans la sphère publique possède des fondements plus lointains, d’ordre culturels pour ne pas dire philosophiques.
Il y a dans notre tradition (et cela vaut beaucoup moins pour le monde anglo-saxon) un a priori ancré qui a la valeur d’une croyance : il existerait une pureté du politique et de la chose publique qui ne saurait qu’être contaminée par toutes les expressions individuelles (y compris celle de ses représentants).
Ce présupposé veut que l’intérêt général ne se réduise pas à la somme des intérêts particuliers. Il y aurait autrement dit un universel, pur et abstrait, qui serait toujours menacé de déchoir au gré des particularismes et des individualismes.
De là des oppositions binaires qui demeurent vivaces dans les mentalités : intérêt général versus intérêt particulier, public versus privé, objectivité versus subjectivité.
Seule la déconstruction de ce postulat permet de penser plus justement le croisement entre la sphère publique et les dynamiques de communication qui la travaillent.
La fabrication de l’intérêt général : ouverture et pluralité, confrontation et argumentation, convergences et divergences
Concevons d’abord que l’intérêt général ne soit pas une postulation intellectuelle de surplomb mais qu’il se fabrique dans un espace public ouvert et pluriel.
Acceptons qu’il soit fondamentalement de l’ordre de la construction et du processus indéfinis.
Revendiquons qu’il se cristallise et se forme à travers la confrontation réglée des faits, des intérêts et des points de vue.
Autrement dit, qu’il n’existe pas (car tout simplement il n’a alors aucune incarnation possible) indépendamment des expressions particulières et individuelles qui le portent.
Les implications sont bien sûr nombreuses !
Et d’abord cette idée qu’il n’y a pas d’objectivité donnée au nom de laquelle on pourrait toujours disqualifier toutes les subjectivités qui sont, bien sûr, toujours celles des autres.
Ce qui ne signifie pas non plus que tous les points de vue, tous les intérêts se valent.
Mais plutôt que toutes les prises de parole dans l’espace public, celle de l’élu, du journaliste comme du communicant, doivent être soumises à la double exigence de l’argumentation et de la confrontation.
Si quelque chose d’une « manifestation de la vérité » doit avoir lieu c’est bien, chemin faisant, au croisement des points de vue de manière toujours ouverte et plurielle.
Il ne s’agit donc pas de réduire ou de nier la spécificité du regard et du travail de chacun. L’élu décide, le communicant valorise, le journaliste « angle ».
Il y a entre chacun un jeu de convergences et de divergences.
Les journalistes ont par exemple besoin de l’information qualifiée que les communicants et les agences pourront leur transmettre tout en évitant de s’en tenir à une seule source et d’adopter uniquement son point de vue et ses intérêts.
Les agences de communication, partenaires et catalyseurs de la vie démocratique
Dans ce jeu démocratique, les agences de communication ont toute leur légitimité et toute leur place.
Nous ne sommes plus aujourd’hui des professionnels des « relations publiques » mais « des relations aux publics ». Ce qui signifie que nous donnons droit à l’ensemble des parties prenantes et que nous ne préconisons de stratégies qu’à l’aune de cette écoute attentive des intérêts et des besoins de tous les publics. Nous créons ainsi des points de passage, une circulation qui permet de construire des terrains communs qui sont aussi des terrains d’entente.
De même, lorsque nous intervenons en relations presse et médias, nous devenons les partenaires du travail journalistique. Nous permettons au travail critique de se déployer à partir d’une information qualifiée, nourrie de faits, prenant la forme d’une argumentation et émise par un interlocuteur clairement identifié.
Lorsque nous sommes les partenaires des institutions, des collectivités et des organismes publics nous les aidons à construire leur communication d’intérêt général. Nous les aidons à répondre à leurs enjeux : assurer la publicité de ce qui appartient en droit au débat et à la vie démocratique, valoriser les services et les bénéfices qui profitent à la collectivité, favoriser la participation et créer l’engagement.
Les « affaires publiques » ou le lobbying ont tout autant leur légitimité lorsqu’ils obéissent à des règles de transparence et de déontologie stricte. Car nous ne croyons pas aux décisions publiques prises hors sol. Elles doivent être nourries par la légitime représentation des faits, des expériences et des intérêts particuliers. Cet ensemble concourt à construire, enrichir et légitimer la décision d’intérêt général.
Au-delà d’ailleurs de ce lobbying responsable, fait d’expertises et d’arguments, de transparence, nous aidons aujourd’hui nos clients à faire naître des convergences entre les intérêts professionnels et l’intérêt public. En effet, l’engagement des entreprises au service de l’intérêt général est désormais un puissant levier de création de valeur. La marque devient engageante pour ses publics à proportion de son utilité sociale et de sa participation à l’esprit public.
La revitalisation de notre vie démocratique, le tissage de nouveaux liens de confiance, supposent donc que le débat public assume et organise sa pluralité. Il revient à chacun d’exercer ses missions avec exigence et à tous d’animer cet espace ouvert et partagé.
Thierry Wellhoff, Président de l’agence Wellcom et de Syntec Conseil en Relations Publics
Jean-François Pascal, Senior Advisor, Responsable des Affaires Publiques, agence Wellcom