Elus, journalistes et communicants: comment passer de la défiance à la fabrication d’un nouvel esprit public ?

 

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Cosigné avec Thierry Wellhoff, Président de l’agence Wellcom et de Syntec Conseil en Relations Publics, mon article publié dans le 6ème numéro de l’excellente revue « Parole Publique »:

Les multiples visages de la défiance

 Les acteurs politiques, les journalistes et les communicants partagent aujourd’hui un privilège peu envié, celui de la défiance.

Leurs prises de parole, dans l’espace et le débat public, font l’objet d’une suspicion de principe. Que leur reproche-t-on ? De ne pas avoir « d’objectivité » et d’être de parti pris. De faire de la communication un outil de manipulation. De défendre, dans un mélange de cynisme et d’incompétence, de manière plus ou moins dissimulée, des intérêts partisans ou personnels.

Ces critiques ne sont pas seulement portées par l’opinion publique, elles sont aussi relayées par les acteurs politiques, les journalistes et les communicants eux-mêmes. Chaque « corporation » les utilise, à l’occasion, à l’encontre des autres groupes professionnels qui constituent pourtant ses partenaires fréquents.

Ainsi les élus ne manquent pas de s’emporter contre les médias accusés de déformer systématiquement le sens de leurs actions et le contenu de leurs paroles. De nombreux acteurs politiques disqualifient aussi le travail des communicants en le réduisant à des dispositifs de manipulation de l’opinion publique, déconnectés du sens et de la réalité des politiques menées. Ce qui n’empêche pas certains, de faire appel à des « spin doctors » afin de récolter justement les bénéfices, réels ou supposés, de ces techniques manipulatoires…

A leur tour, les médias sont prompts à transformer la vigilance critique en suspicion permanente. Les motivations et les buts des acteurs politiques peuvent ainsi être systématiquement réduits à des enjeux de pouvoir et d’intérêts personnels. De même,  à l’encontre des communicants, un procès est souvent instruit en subjectivité (valoriser le point de vue et les intérêts de son seul client) et en manipulation (pression et complaisance).

Ces critiques, qu’elles émanent d’une corporation ou de l’opinion publique, ne peuvent être balayées. Elles pointent des comportements réels. Mais il importe de les nuancer, parfois de les déconstruire, et de distinguer notamment les pratiques usuelles réglées par des déontologies et les dérives.

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Tank n°7 – « Hasard + Big-Data = l’équation impossible ? » – Entretien avec Thibaut Munier, Directeur Général de 1000mercis

Tank_LuxeLe 13 décembre sort le numéro 7 de l’excellente revue Tank, initiée et animée par Olivier Breton et Pascal Beria.

En avant-première, je vous propose de découvrir la version longue d’un entretien (publié p.18 et p.19) que j’ai réalisé avec Thibaut Munier, le Directeur Général de 1000mercis.

Où il est question de Big-Data et de Sérendipité …

Big data et data mining sont aujourd’hui au cœur du champ publicitaire et des pratiques marketing. Que se cache t-il derrière la désormais toute-puissance des données ? Quelles sont les problématiques liées à leur collecte, à leur analyse et à leur exploitation ? Face à la prédictibilité grandissante des comportements et des préférences, que reste-t-il de la sérendipité, de notre goût pour les rencontres fortuites et inattendues ?

1) Dans le champ publicitaire et marketing, les notions de «Data mining » et de « Big data » sont aujourd’hui omniprésentes. Que désignent ces termes ?

 Ces termes désignent d’abord un nouveau type de données. Ainsi les données issues de l’utilisation des réseaux sociaux constituent des données non structurées. Ces données sociales correspondent aux interactions des internautes entre eux et avec les marques. Elles peuvent par exemple prendre la forme de commentaires ou de posts et elles constituent alors un verbatim des conversations.

Autre exemple, les données de navigation. On peut désormais, avec le recueil du consentement des internautes, enregistrer une partie de leur parcours de navigation sur les sites. Ces données pourront ensuite être exploitées par les annonceurs.

Ces données, de type comportemental, sont de plus en plus massives. Le terme même de Big data désigne l’importance du corpus des informations recueillies. A la différence des données déclaratives, ces données de navigation sont extrêmement variées (le temps de navigation sur un site, les pages visitées, les liens cliqués…) et volumiques. Il faudra d’ailleurs savoir les traiter en suite.

Cette production d’informations constitue un événement en soi car notre société, avec ses moyens technologiques, n’a jamais autant produit de données.

2) Concrètement comment s’effectue la collecte des données ? 

Il y a de nombreuses formes différentes de collecte. Par exemple, la navigation sur un site, sous réserve de l’accord de l’internaute, donne une occasion d’échange et de suivi d’informations via notamment la mise en place de cookies. L’enregistrement de ces données doit permettre d’optimiser la navigation future de l’internaute en améliorant les liens qui lui sont proposés.

Cela dit, chaque environnement pose des problèmes techniques et juridiques de collecte. La perception des techniques de collecte par l’internaute et les conditions de recueil du consentement de collecte des données constituent des sujets particulièrement sensibles. 

3) Quels sont les enjeux pour les marques ?

Les marques envoient beaucoup de messages en direction de leurs clients présents ou potentiels. Or il y a une déperdition importante non seulement quantitative mais aussi qualitative. Les internautes ont souvent un sentiment d’envahissement, d’une fréquence excessive des sollicitations ou encore de l’inadéquation de ces messages avec leurs attentes.

Il s’agit donc pour les marques d’être plus intelligentes, de savoir tirer partie de ces grands volumes d’informations et de leur richesse en terme de contenu. Beaucoup de données ne sont pas utilisées ou sont collectées de façon inutile ; l’enjeu principal est donc de savoir les traiter, les utiliser afin de mieux comprendre les comportements et les attentes des clients, de mieux communiquer avec eux. L’objectif est d’apporter au consommateur ce qu’il attend, à savoir un meilleur service et le moins de désagrément possible.

Au-delà d’ailleurs des bénéfices immédiats liés à une meilleure connaissance, l’enjeu est aussi de créer une différenciation, de se distinguer de ses concurrents par la qualité de la relation que l’on aura su nouer avec ses publics.

4) Y a-t-il un bénéfice évident pour l’usager ? Quels exemples peut on donner d’un bénéfice utilisateur ?

Malheureusement ce sont plutôt les exemples de désagrément qui s’imposent. Trop souvent, les usagers sont envahis de sollicitations qui ne sont pas au cœur de leurs préoccupations. C’est compliqué pour les marques de collecter toutes les informations qu’elles ont le droit d’utiliser, qui leur seront utiles et qui, in fine, leur permettront de tirer un surcroit de valeur perçu par le consommateur.

De là les interrogations à propos de ce qu’il est légitime de demander, de collecter, à propos de ce qui fait sens ou pas. Il faut aider les marques à être plus intelligentes et leur permettre ainsi de se distinguer. Le directeur d’un grand distributeur américain disait : « Je sais que je gaspille la moitié de mon budget marketing, le problème c’est que je ne sais pas quelle moitié ».

C’est encore très vrai aujourd’hui. Il y a un gaspillage formidable, souvent contre-productif et générateur de désagréments.

5) Les modalités d’extraction des données sur les réseaux sociaux (en particulier Facebook) sont aujourd’hui contestées qu’en pensez-vous ? La peur d’un système de surveillance numérique généralisé est-elle légitime selon vous ?

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Penser le digital, transformer les agences

DigitalL’avènement du numérique ne signifie pas seulement pour les agences l’ajout d’une compétence nouvelle. La plupart d’entre elles, pour ne pas dire toutes, intègre désormais une offre digitale. Mais celle-ci est trop souvent définie et mise en oeuvre comme une boite à outils supplémentaire venant se juxtaposer aux moyens et canaux traditionnels de communication.

A ce titre, le « digital » risque toujours de devenir un silo comme un autre, fonctionnant à travers des logiques de frontières et de séparation.

Or l’univers numérique se caractérise par l’avènement d’un flux fait d’interactions permanentes. Nous évoluons dans un écosystème qui fait désormais la part belle à la logique de processus, de multiplicité et de relation. Ce dont témoigne notamment la prolifération des conversations entre les marques, les consommateurs et les différentes parties prenantes.

Les agences ne pourront plus très longtemps continuer à appréhender ce flux à travers des catégories de pensée et d’action obsolètes. La logique du silo, tant dans sa dimension intellectuelle que fonctionnelle, a vécu. Il ne s’agit pas ici de substituer un nouveau modèle extérieur à un autre mais bien de partir de la réalité de l’écosystème numérique. Et, partant de cette réalité, de trouver, par émanation, les formes d’action et d’organisation adéquates c’est-à-dire capable d’engendrer de l’(inter)action efficace et féconde.

Autrement dit, flux, processus, multiplicité et relations doivent trouver leur traduction dans les modes d’organisation et de fonctionnement des agences. Décloisonnement, transversalité, interactions, réactivité doivent guider les réorganisations, inspirer les nouvelles manières de créer et de produire, nourrir les nouveaux modes de management.

L’organique doit se substituer au mécanique. Faire vivre une marque signifie désormais organiser sa croissance et sa prolifération au sein d’un écosystème mouvant et pluriel. Créer et faire jouer de l’unité dans la multiplicité, maîtriser les contenus dans des stratégies de communication nécessairement diverses mais intégrées.

Ce qui suppose de nouvelles logiques d’organisation, de nouveaux modes de vie. Ouverture, porosité, souplesse et interactions doivent être constitutives. L’agence d’aujourd’hui, accordée à son écosystème présent, est d’emblée une structure fonctionnant en réseau, capable de mobiliser des compétences variées autour d’un projet donné. L’unité de temps, de lieu et d’action est désormais à comprendre comme souple et ponctuelle. Les structures lourdes et dispendieuses, multipliant et juxtaposant les directions et les équipes en les fixant dans des locaux toujours plus grands, ont vécu.

Place à des agences organiques capables d’adapter sans cesse leur périmètre aux nécessités de leurs actions. Place à des équipes légères, soudées mais évolutives. Place à des bureaux où les espaces se dédoublent entre permanents et intervenants mobiles, favorisant leurs rencontres. Salariés et free-lance ont ainsi vocation à collaborer toujours davantage au sein d’unités de travail qui se composent et se recomposent au gré des besoins.

De telles mutations ne sont en réalité que la traduction la plus avancée, la plus exacte comme la plus efficace, des modifications de l’écosystème dans lequel évoluent désormais les agences. En ce sens, le digital n’est rien d’autre qu’un puissant révélateur des nouveaux modes de communication et d’interactions qui sont désormais nôtres. Il constitue une chance pour les agences : celle d’être au diapason d’un monde dejà là et ainsi capables de participer à sa création permanente, nécessairement ouverte et plurielle.

Jean-François PASCAL

C’est quoi être français ?

Francais

« Chers amis,

Je suis heureux de participer à ce rendez-vous citoyen que constituent les rencontres de Venasque. Heureux de débattre en votre compagnie de ce que signifie, aujourd’hui, être Français.

Alors, c’est quoi être Français?

Question directe, réponse personnelle.

Etre Français pour moi, pour l’Alsacien qui vous parle, c’est d’abord un mélange de destin collectif et de choix individuels qui font basculer des vies et façonnent une histoire familiale.

Etre Français, pour les Alsaciens entre 1914 et 1945, c’est ne plus l’être, puis le devenir à nouveau, et encore ne plus l’être pour enfin le redevenir.

Etre Français, pour mon grand-père maternel, c‘est refuser de devenir officier dans la cavalerie allemande en 1914 et s’engager dans les FFI en 44.

Etre Français, pour mon grand-père paternel, c’est aller à Besançon, en 1914, pour s’engager dans l’armée française puis c’est être expulsé d’Alsace, avec sa famille, vers l’Afrique du Nord en 1940, au motif qu’il était « inassimilable au Reich ».

Et ce fut pour mon père, débarqué à Saint Tropez en août 44 avec l’armée d’Afrique (chef d’une section du génie dont il était le seul métropolitain), perdre sa jambe en déminant le col de la Schlucht entre Vosges et Alsace.

Ce petit fragment d’histoire personnelle le dit mieux qu’une longue démonstration : être Français n’est pas une construction artificielle  et accessoire mais bien un identifiant essentiel qui participe à la signature d’une vie.

Pour autant, le même Alsacien qui vous parle, le Mulhousien pour être plus précis, est aussi l’habitant du pays des trois frontières. Il regarde depuis toujours vers l’Allemagne et la Suisse, vers l’Europe. Il vient d’une terre d’échanges et de passage, de croisement des marchandises, des langues et des cultures.

Il se souvient de son père qui défendait ardemment, dès les années 50, la réconciliation franco-allemande et le dialogue entre les deux peuples.

Il est ce Français pour qui la nation n’a jamais ressemblé à sa caricature nationaliste.

Laissons là les replis et les crispations, la réduction à une identité figée et fermée, dont il faudrait défendre la pureté.

Laissons là ceux qui portent le drapeau d’une France morte.

Je préfère la passion d’une France vive, celle de l’identité en mouvement, la passion d’une France solidement enracinée, d’autant plus riche qu’elle est ouverte.

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Un corps à l’oeuvre

« Le sang qui baigne le cœur est pensée »[1]

« Qui a un corps apte au plus grand nombre d’actions, a un esprit dont la plus grande partie est éternelle »[2]

  

A tous les bons lecteurs doués d’oreille

et de cette qualité si rare qu’est la rumination…

 

« On ne s’intéresse pas assez au corps des écrivains : il a la même importance que leurs livres. (…) Le corps, donc, pas l’image. Ce corps là, cet ensemble de gestes ou d’intonations, ce système nerveux là. (…) Il y a bien continuité de tissu et de rythme entre les livres et la façon dont le corps qui les a écrits marche, parle, se tait, apparaît, disparaît. »[3]

Nous cherchons l’écrivain à travers son texte et voici que Philippe Sollers nous présente son corps. Continuité ­­­­– de « tissu » et de « rythme »­­­­ –­ entre les mots qui font corpus et ce corps pris dans ses mouvements, sa parole, sa manière d’être là. Corps et langage.

Ou comment faire entendre, au plus juste, tout ce qui (se) joue dans l’expérience de notre corps. Qu’est-ce à dire ? Que ce tissu de sensations et de perceptions n’a de cesse en l’homme de se moduler à travers des signes et singulièrement des mots. Ce corps articulé fonde l’écriture. Et plus généralement, le cours de la pensée.

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